J´ai vu le Nouchi naître.

J´ai fait, par inadvertance, la manipulation de trop qui ne laisse pas d´autres choix que de tout reprendre. Je suis désolé pour les commentaires qui reviennent mais sous une autre forme .

À l´origine, on avait pas le Nouchi mais les nouchis c´est à dire les pickpockets, qui hantaient les cinémas Al Akbar, El Hadj, Liberté, El Malick, Lux, Roxy, Royal à Adjamé, Benin à Attiécoubé, Rio, El Mansour, ABC à Treichville. Plus tard ils ont envahi les gares, les bus bondés, les endroits susceptibles de rassembler du monde tels les stades (Stade FHB, Parc des Sports, Robert Champroux) les sites d´attraction des compagnies de circus (exemple circus Moreno) et d´ auto-tamponneuses qu´on appelait « manège » qui tournaient dans ce qu´on appelle aujourd’hui´ communes (Adjamé, Treichville, Port-Bouet…) etc.

Ils profitaient de l´anonymat des lieux et de l´effervescence ambiante pour voler ou „faire deux doigts » aux cinéphiles, aux voyageurs ou à tout badaud qui se trouvait par hasard sur leur chemin et qui n´était pas assez vigilent. Il fallait bien qu´ils mangent, il fallait bien qu´ils s´habillent. Et pour échapper à ce quotidien brutal, sans pitié, une partie du butin était consacrée à l´achat de drogues pour s´évader de leur dure réalité, de leur condition.
Au menu: Sedaspir, djalan, kounou, Sékou Touré, M10 ou Mario Kempès (du nom de l´infatigable et meilleur buteur argentin de la Coupe du Monde en Argentine, 1978), tchoukourou (du dioula djou kouro ou plier le bout) appelé aussi « guédji »

Ces nouchis étaient généralement des enfants que le train du développement économique avait laissé sur le quai. Des enfants issus pour la plupart de familles démunies qui vivaient le jour dans les rues et la nuit dans les marchés ou djassa d´où l´expression „aller bakro au djassa „, puis la forme simple, contractée „dja bakro“ pour dire aller dormir au marché. Ils dormaient sur les tables désertées par les commerçants, ou au bord de la lagune à Treichville au pied du pont FHB.

Loin de moi la prétention de donner un quelconque caractère scientifique au phénomène -j´en laisse le soin aux sociologues, aux historiens et aux linguistes- , c´est à comprendre comme un témoignage de quelqu´un qui était aux premières loges quand les premiers nouchis ont commencé à occuper l´espace Abidjanais, de Port-Bouet à Adjamé en passant par Treichville.

Le témoignage de quelqu´un qui a vu aussi certains de ses amis d´enfance sombrer dans le banditisme, dans la drogue, dans l´alcool… Avec certains, j´avais gardé des rapports amicaux même quand tout le monde les fuyait. Je demandais et ils m´expliquaient. Je suis resté l´ami, le frère qui dépannait quand il pouvait. Ils me rendaient aussi menus service. Nos rapports n´ont pas connu de grands changements à la différence que je ne jurais que par l´école, les bonnes notes… Pour moi, c´était être premier de la classe ou rien. Le dernier de mes amis qui avaient dévié, je l´ai vu la dernière fois en 2005. L´année où il a rendu l´âme, juste après mon départ. Méconnaissable à couper le souffle. Il n´avait plus de dents et plus que la peau sur les os. On avait la même taille (175 cm), mais celui que j´avais devant moi ce jour là faisait à peine 170 et tout au plus 40 kilos. Le seul qui ne cadrait pas dans le cliché d´enfants de la rue. Je n´en dirais pas plus sur son identité mais il avait tout pour réussir, il avait ses allées et venues chez Houphouet, chez plusieurs ministres de l´époque où il m´avait introduit aussi. Je vais l´évoquer dans un autre billet. Avec lui, j´ai vraiment fait les 400 coups.

Mes souvenirs situent l´apparition du phénomène autour de 1970. Le boom économique bat son plein On est les deux pieds dans le so-called miracle économique et de l´exode rural massif qui y est inhérent. Ça vient de partout. De l´intérieur mais aussi des pays environnants.
Abidjan était la locomotive de ce prodigieux essor économique et du coup, le point de convergence de tous ceux qui rêvaient de trouver du travail, un peu de bien-être, une meilleure vie…
Pour beaucoup, c´est la désillusion et plutôt que de retourner d´où ils sont venus couverts de honte, ont préférer rester en attendant des jours meilleurs. Cette période a coïncidé avec l´arrivée des bateaux qui venaient déverser des tapettes en plastique au port d´Abidjan qu´on a surnommé « en attendant…des jours meilleurs» parce que portées en majorité par des ceux qui allaient tous les matins au port dans l´espoir de décrocher un boulot.

La plupart des nouveaux arrivants étaient originaires du Nord de la Côte d´Ivoire, du Burkina, du Mali, de la Guinée, espace naturel des malinkés et des sénoufos. Donc très vite ils vont constituer le gros des désœuvrés, des chômeurs, des laissés-pour-compte, de la petite délinquance….Dans leur grande majorité , ils n´avaient pas eu la chance d´aller à l´école. Et pour exister dans cet environnement linguistique qui n´était pas le leur, il n´y avait pas d´autre choix que de se mettre à l´apprentissage de la langue que tout le monde parlait avec des fortunes diverses. Besoin de communication et de compréhension oblige. Et comme ce n´était pas facile, ils y rajoutaient des mots et onomatopées tirées du dioula.
D´ailleurs nouchi signifie en dioula le poil du nez ou encore barbe. On disait de ses pickpockets qu´ils étaient capables de vous tirer le poil du nez sans que vous vous en rendiez compte (au nez et à la barbe en bon français) tellement ils étaient étaient adroits, habiles. Pas besoin de vous dire à quel point ça fait mal de se tirer le poil du nez. Donc le nouchi était quelqu´un capable de toucher, par allégorie, à votre partie sensible (pour porte-monnaie, bourses, argent) sans éveiller votre attention.
Après, ils ont développé le Team spirit et créé une « langue » propre à eux pour se donner le mot quant à la stratégie à adopter au cas où une une victime potentielle était en vue. Le nouchi kan (la langue des nouchi) venait de naître. Qui n´avait rien à voir avec la langue de Moussa ou de Dago (ma petit, froidi ta kerr…) qui avaient une coloration plutôt campagnarde, villageoise, niaise.
Ni même le petit-nègre de l´époque coloniale. Au fil du temps, le nouchi kan a intégré d´autres « parlers » ivoiro-africains parfois même anglais et s´est enrichi de l´apport des autres particularités linguistiques et/ou ethniques de Côte d´Ivoire et est devenu tout simplement le Nouchi lui conférant ainsi son caractère inter-ethnique sur l´ensemble du territoire ivoirien et même au-delà des frontières.
Aujourd’hui, le Nouchi va plus loin. Les cercles les plus réticents naguère comme ceux des étudiants, des professeurs, des hommes politiques et de la diaspora, sont devenus plus que tolérants : ils en font usage et de fort belle manière.
Ce qui me fait penser que le Nouchi, du fait de son dynamisme et de son charme , va
s´imposer comme la langue nationale un de ces quatre. Comme le pidgin, comme le swahili qui est, ne l´oublions pas, une composition hétéroclite de l´arabe, de l´anglais, du français, et des parlers locaux propres aux régions géographiques où il est parlé. Je l´espère.

 

6 réponses à J´ai vu le Nouchi naître.

  • clairnetdit :10 juillet 2012 à 22 h 10 min (Modifier)En annexe à ce qui a été si bien dit et bien développé, je voudrais en ajouté à l’explication du mot « nouchi »
    Mot composé dioula.
    Nou ou noun= nez
    Chi ou ssi =poil.
    Le mot en lui même veut dire moustache élargie aux poils du nez.
    Une certaine croyance en Afrique et peut-etre ailleurs aussi veut que la moustache soit un attribut des hommes forts durs des caïds à la limite même des hommes méchants.
    Au fait même ce n’est qu’une projection sur l’homme .
    Nous n’avons fait que bénéficier d’une croyance qui dans un premier est réservée aux animaux de la brousse de la jungle.
    Là-bas les moustachus sont rois; ils en imposent aux autres et ce sont eux qui prennent pour les autres quand personne ne peut prendre pour eux. Ils sont maitres d’un territoire et y font la loi ; ils sont très craints des autres. A quelque chose qui est difficile dure dangereux on fera allusion aux moustaches du lion.
    Vous avez dit les nouchis d’Abidjan?
    Leur instinct leur a fait développer un langage codé fait d’1 croisement de mots des dialectes du terroir du français et souvent de l’anglais.
    C’est cela le————————————Nouchi.

9 réponses à J´ai vu le Nouchi naître.

  • Kanigui dit :

    Excellent et bien écrit. Ce pays a des ressources cachées. Publie plus souvent stp.
    Bravo

    • Latty dit :

      Merci Kanigui! Promis de le faire chaque fois que l´inspiration le permettra.

    • Mamady S.Sambrel dit :

      vraiment mon frere tu connais bien le nouchi tous ce que tu as dit la cest pas menti.
      moi meme je faisais le deux doigts a l`epoque a treichville mon quartier dans la journe c`etaits le cinema El Mansour .LE RIO. ET LE OUENZEN. et la nuit on se retrouaits a L`ABC on se regroupais en bas en bas de l`immeuble sigogi jusque a 20h 30 commence la vente des billet et en ce moment la on rentre en actions.et apres on se retrouve dans la sale en bas de l`ecran la place des indiens.et mes parent abitais tout juste deriere l`ecrant sur l`avenue 3 rue 7.et parfois dans la journe on se trouve en bas de collose cest le pont FHB que on a nomme le collose.mon trop de souvenire je ne peut pas tout renconter ici.

      merci quand meme

      • Latty dit :

        Lol! Derrière l´écran en question, on pouvait manger le meilleur attiéké avec poisson chaud de l´époque du maître « Masta », le père de Benson. Peut-être qu´on se connait. Qui sait? Moi suis de l´avenue 6 rue 7

  • Mamady S.Sambrel dit :

    et en face on pouvait boire du cafe au lait chez tiegbe mon frere cest bien possible que on se conait tres bien meme tu dis bien a l`avenue 6 rue7 de quelle cote je me rapelle bien que a cette endroit il yavait un bijoutier un certain thiam et de l`autre cote il yavait un malien qui tenait une boutique d`alimentation. sur la rue7 toujour ilya un immeuble habite par des senegalais un peu devant ilyavait a l`epoque une boite de nuit sur l`avenue 7 mon frere continuons la causeri on finiras par se decouvrire.attieke je espere que vous souvenez bien d`une dame qui vendait aussi la mere de yao le grand yao lui est decede ilya longtemps
    fait pas attentions a mes faut d`orthographe on ai debrouillard,

    A.suivre

  • Latty dit :

    Mamady, oui Tiègbè le senoufo, dans l´ancienne maison des Delafosse. De l´autre côté, chez les petit Vié. Oui avenue 6 rue 7, exactement, c´est la là que je suis né. Après le bijoutier Thiam, c´est un Guèye qui repris. Il y est toujours. Cette cour, était la cour de ma grand-mère. La boîte dont tu parles était à l´avenue 8 rue 7 et s´est appelée tour à le Gama, le Mississipi puis de nouveau le Gama. Elle appartenait au petit frère de la 1ère première Dame de Côte d´Ivoire: Mr Brou. Le gérant était Yul!
    Mon gars si tu te rappelles Grand Yao, c´est que tu es ancien hein. Un ami de Djabo Steck et un des guitaristes les plus doués de sa génération. Il est mort en 11970 ou 71. On a tous pleuré. Un indice: Wolou, Maciré, Vié Séni, Bobel, Nouhou Zirignon, Philippe Business, Dépêche…quelques noms de mes amis d´enfance. Tous décédés hélas!

  • Mamady S.Sambrel dit :

    je ne sais pas quelle age tu avait a l`epoque moi et petit yao .blais .sery.et d`autre dont je oubliez les nom
    on commence en tapant sur les boite de tomate et carton pour faire la musique mais moi mes perent etait telement strict avec moi que jai ete oublige de quiter le groupe et meme la famille cest en ce moment la que je me suis retrouve dans le groupe de petit graou tu sais bien ce que veut dire petit graou a l`epoque.
    et les autre on continue a taper sur les boite de tomate et quelque temps apres ils on forme l`ochestre LES FREEMEN. si tu etait plus jeune que moi a l`epoque ce serais dificille de me rappeler de toi.la concesions ou moi je habitais a l`epoque etait entre la rue 8 et la rue 9 notre maison etait cole a une villa qui etait habie par un avocat du nom de maitre aka si je m`ensouviens et c`etai marque sur notre portail CHIEN MECHANT.
    mais au moment ou je quitais la maison etait devenue un magazin ou les femme gardais leur affaire apres le marche.et ma famille a demenage juste pres de chez toi avenue 7rue7 sur l`immeuble au premier etage
    a l`epoque il avait une ecole en bas.tu dois peut etre conaitre ma cousine SONANSA on l`appelait MAMA
    je suis sur que tu la connais.cest vraiment triste que tous ce ami dont tu viens de citer les nom son decedes.
    si tu veut je te donne mon adrese de skype on peut mieux causer je suis a londre UK.

  • Sikanel dit :

    Je découvre cet article assez tard… Mais il n’est jamais tard pour apprendre. Je m’étais toujours demandé comment le « nouchi » avait réussi à être aussi populaire en Côté d’Ivoire tout comme le francanglais au Cameroun. Quelle joie de le découvrir dans l’un des plus beaux articles (style d’écriture qui tient en haleine le lecteur) sur le net.
    Respect pour ton vécu Bro et surtout ton humilité.

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